Dans les œuvres de la peintre et illustratrice, la nature est omniprésente et revêt toutes sortes de couleurs. Le territoire est un élément indissociable de sa pratique artistique. Et même lorsqu’elle conçoit des personnages, un paysage s’incruste à l’intérieur de leurs courbes. Rencontre.
C’est sans doute parce qu’elle a passé son adolescence à animer des camps de vacances en tant que guide d’exploration et qu’elle a forgé ses premiers souvenirs d’aventure à Montmagny, d’où elle est originaire, que Florence Rivest parvient à décliner toutes les facettes de la nature québécoise. «On n’a jamais eu de jeux vidéo chez nous, on était tout le temps dehors. Alors le plein air, c’est dans mon ADN!», lance-t-elle en évoquant quelques souvenirs de jeunesse au bord du fleuve, entourée d’une famille de sportifs.
Mais son histoire d’amour avec le plein air a aussi connu des temps difficiles. Plus jeune, il lui est arrivé de ne pas se sentir à l’aise puisqu’elle dit ne pas avoir le physique ultra athlétique associé aux «gens de plein air»: «J’ai eu de la misère à essayer des choses, comme l’escalade. J’étais paralysée par le fait de ne pas être musclée ni mince comme un clou. Je pensais que les gens sauraient que je n’étais pas à ma place. Finalement, elle est à personne cette place-là, c’est juste toi qui décides que tu arrêtes d’avoir peur et de penser aux autres».
À l’âge de 8 ans, Florence Rivest commence les cours de dessin et pendant de nombreuses années boude complètement les paysages. Sa toute première toile est une nature morte, mais après ça, elle ne dessine plus que des visages. «Ma mère était écoeurée tellement j’en faisais, s’amuse-t-elle. J’étais une enfant habitée de mélancolie et pour moi la figure humaine était la meilleure façon de communiquer des émotions plus brutes.»
Un retour aux sources
Au début de sa vingtaine, elle déménage à Montréal et commence à s’intéresser de près aux enjeux écologiques. «Je me suis éloignée de la nature et j’ai réalisé que je la prenais probablement pour acquise», analyse-t-elle.
Mais le véritable déclic arrive à la fin de sa deuxième année d’université. Avec des amis, Florence part travailler pendant deux mois comme gardienne de phare à Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, une île en face de Rivière-du-Loup. Pas d’internet, aucune possibilité de partir, aucun divertissement, et malgré tout, elle s’en souvient comme du plus bel été de sa vie. C’est à ce moment-là que la jeune femme s’attarde sur l’environnement naturel qui l’entoure et commence à esquisser des paysages… Pour ne plus s’arrêter.
Après cet été hors du temps, Florence déconfine ses crayons et ses pinceaux: ses croquis représentent désormais des rivières, des reliefs, des animaux, des végétaux et des humains qui jouent dehors comme elle. Son atelier devient les sentiers qu’elle arpente à la recherche d’une lumière, d’une couleur, d’une source d’eau qui allumera son inspiration. La graphiste de formation prend ainsi le chemin de l’illustration et assume tranquillement son univers visuel singulier.
Il faut vivre en ayant conscience qu’on n’est pas chez nous, qu’on est des invités dans les espaces naturels et qu’il faut en prendre soin.
Rapprocher le public de la nature
Rapidement, ses œuvres pittoresques et colorées attirent les regards. L’artiste en herbe décroche plusieurs contrats pour des magazines comme BESIDE, Corsé et Dînette, illustre pour l’Association des camps du Québec et devient ambassadrice de la marque de vêtements de sport Arc’teryx. «J’étais tellement touchée quand Arc’teryx m’a approchée, s’émerveille celle qui vit de son art depuis un an. Mais mon compte Instagram, ce n’est pas des photos de moi en train d’être cute sur le haut d’une montagne avec un beau sac à dos! La meilleure façon pour moi de redonner, c’était de créer du contenu pour aider les gens. J’ai eu le privilège de grandir avec un canot dans ma cour; mon père vient de l’Abitibi et descendait l’Harricana à 12 ans. J’ai cet héritage que tout le monde n’a pas.»
Elle entreprend donc la création de mini-guides illustrés pour faciliter l’expérience du plein air aux débutants. En collaboration avec la marque, elle publie sur son compte «Le principe sans trace : la grosse base», «partir en canot-camping même si tu n’as pas un BAC en plein air» et «comment dessiner dehors sans stress». La réception est positive. «En dessin c’est toujours plus digérable. Moi-même j’ai acheté la fameuse bible du sans trace et ce n’est pas vrai que je l’ai lue au complet!»
À travers la mise en valeur de la nature locale, Florence souhaite tout de même s’éloigner d’une certaine «glamourisation» du plein air, véhiculée notamment en ligne. «On vend une espèce de rêve qui donne l’impression que tu peux débarquer pour faire un feu, prendre une belle photo pour les réseaux sociaux et repartir ensuite. Pourquoi se rendre dans des endroits aussi beaux et ne pas prendre le temps de vivre le moment? Je pense aussi à ceux qui arrachent une branche car ça va être plus beau sur leur photo, déplore-t-elle. Il faut vivre tout ça en ayant conscience qu’on n’est pas chez nous, qu’on est des invités dans les espaces naturels et qu’il faut en prendre soin. Mais je ne suis pas une élitiste du plein air: je crois que si les gens vont en nature et vivent quelque chose de réellement beau ils auront tendance à la protéger ensuite.»
Panser les plaies
L’artiste visuelle accompagne parfois ses illustrations de quelques lignes de prose. C’est le cas notamment de la série À force de s’perdre on s’trouve exposée en juin 2019 et qui nous entraîne dans l’intimité des pensées de Florence. «Quand tu vois une image de paysage, ça peut devenir facilement banal, commente-t-elle. Parfois c’est même déconnecté de l’expérience individuelle. Les mots ancrent ces paysages dans un ressenti, c’est plus concret.»
À certaines périodes douloureuses de sa vie, Florence s’est lancée dans de nombreuses randonnées et cela lui a procuré une aide immense. Plusieurs de ses créations relèvent d’ailleurs ce pouvoir thérapeutique de la nature, qui n’est d’ailleurs pas un processus paisible puisqu’il fait appel à l’introspection. «Quand je suis devant une vue magnifique, je me dis pas une maudite citation inspirante genre “I walked in the woods and I came out taller than the trees”! Non, je me dis “Esti j’ai mal aux genoux, mais je suis tellement forte!” On n’est pas toujours dans l’extase dans la nature, il y a aussi des moments difficiles quand on fait du plein air, et on est beaucoup dans sa tête. J’ai fait une randonnée l’été dernier avec mes amies: 17 jours de marche, 300 kilomètres, et j’ai jamais été autant seule dans ma tête. Tu process tellement d’affaires sombres et plus lumineuses mentalement…»
Petit à petit, la nature l’a aidée à se bâtir une estime d’elle-même. L’artiste se félicite chaque fois qu’elle a monté une montagne. Elle y voit une douce analogie pour toutes les autres montagnes figurées à gravir. Sans oublier le bruit de l’eau en canot, le craquement des feuilles sous les chaussures, le vent, la lumière, le chant des oiseaux: autant d’éléments qui aident à entrer dans un état méditatif.
Cette sensibilité accrue lui permet aussi d’observer les nombreuses couleurs autour d’elle et de les reproduire dans ses dessins. Car non, la nature n’est pas juste verte, bleue et brune, s’enthousiasme l’illustratrice, juste avant de porter son attention sur l’arbre à côté d’elle. «Si on fait l’exercice de regarder le tronc de l’arbre juste ici, il n’est pas vraiment brun. Il est gris avec des taches vertes, là où passe la lumière sur les feuilles il y a du jaune et son ombre est bleutée.»
Florence aime contempler les panoramas qui s’offrent à elle: si elle trouve une belle vue, elle s’arrête et dessine. L’acte de simplement s’asseoir et d’absorber ce qu’il y a autour de soi en vaut la peine, estime l’illustratrice. Ce processus l’a finalement aidé à faire le pont entre son identité d’artiste et son amour pour le plein air.
Alors que certains coupent leur brosse à dents en bois pour s’alléger pendant une expédition, Florence, elle, traîne ses pots de gouache et son matériel à dessin dans son sac à dos, même lorsque le dénivelé est important.
Pour l’avenir, la créatrice nourrit le souhait de guider des sessions d’art thérapie en forêt, un projet qui résonne en elle de plus en plus.
Trois lieux qui inspirent l’art de Florence Rivest…
La Mauricie: «C’est là qu’était basé le camp de vacances où j’ai travaillé toute mon adolescence. Le Parc national de la Mauricie est le premier endroit où je me suis attardée à admirer la forme des arbres, où j’ai pris le temps de regarder la nature avant même de commencer à la peindre. J’ai des souvenirs très tactiles de cet endroit.»
L’Île verte (Notre-Dame-des-Sept-Douleurs) où elle a passé un été au complet: «C’est si beau! Là-bas, j’ai appris pour la première fois à vivre dans le moment, parfois inconfortable.»
Baie-Saint-Paul: «J’y ai fait une résidence juste avant la pandémie et c’est magnifique. Les montagnes sont inspirantes dans leur façon de se jeter dans le fleuve. Et l’Isle-aux-Coudres juste en face! J’aurais aimé rester plus longtemps et explorer le Parc national des Grands-Jardins. Historiquement, c’est une place où se rendent les artistes du Québec; il y a comme une transmission créative en plus.»
? Suivez l’artiste sur Instagram.